Je remercie Henri Roger de MAUTHALIN pour "Souvenirs sur Suzanne de GOURMONT". Dans un banquet littéraire, de MAUTHALIN devait à ma demande parler sans préparation du GOURMONT critique du groupe symboliste. Pour les jeunes Gourmontiens, c'est émouvant d'écouter un conférencier témoin d'une telle époque.

                    La littérature du début du siècle était passionnante, les perspectives larges et à explorer. Un médecin viennois, le Docteur FREUD, était à l'origine de cette évolution.

                    Très vite, le Docteur VOIVENEL devait s'adapter à l'école de JANET, celle-ci préconisait la "connaissance de soi". VOIVENEL devait en faire dans sa pratique médicale "l'acceptation sthénique".


Souvenirs sur Suzanne de GOURMONT


 
 

                    Suzanne de GOURMONT, belle-soeur du grand romancier Remy de GOURMONT, habitait à l'époque de ma jeunesse, il y a hélas, une soixantaine d'années, rue des Saint Pères, à Paris, dans cette vieille artère de la Capitale qui commence au bord des quais, paradis des bibliophiles et des amateurs d'art et qui s'enfonce dans la cité.

                    Sa maison était un immeuble très centenaire et son appartement, situé au premier étage, communiquait avec le second et le troisième.

                    Ce dernier servait de bibliothèque et de salle d'études au grand auteur disparu.

                    Au temps de ma jeunesse mondaine et frivole, mais studieuse, où mes heures se passaient entre le Conservatoire National de Musique et les visites aux relations et amis dans un monde élégant et parfois trop superficiel, je fus invité à me rendre un soir, après dix heures, chez Suzanne de GOURMONT, au cours d'une de ses réceptions officielles.

                    Une affluence de gens riches et célèbres, se pressait, dans les vastes et luxueux salons de notre aimable hôtesse.

                    Il y avait là, entre autres gloires de l'époque, ma vieille amie Rachilde qui agitait sans trêve son fameux éventail d'iris et lançait souvent des boutades ou des paradoxes tous aussi étonnants au cours de la conversation.

                    A ses côtés, le grand historien Louis DUMUR s'évertuait à chercher un nouveau Rimbaud pour le lancer dans la célèbre maison de la rue de Condé, pilier de la Revue Mauve.

                    S'empressant autour des coupes de champagne et des tasses de thé, le collaborateur de Rachilde, le jeune et charmant romancier breton Jean-Joe LAUSACH, devisait avec Louis JOUVET au sujet du prochain livre de ce néophyte.

                    On ne comptait plus les grands noms de l'aristocratie et du monde des lettres et des arts qui hantaient cette maison.

                    Au bout de quelques heures, un camarade écrivain, familier de ce vénérable salon, me conduisit au troisième étage, encombré de livres innombrables et de bancs de bois où je m'assis bientôt pour examiner à loisir quelques bouquins rares, portant fréquemment d'illustres dédicaces.

                    La Reine de ces lieux était une personne entre deux âges, enjouée et affable, qui devisait savamment d'art et de littérature.

                    Un petit singe, ombre chinoise vivante, s'agitait fort drôlement, dans un lustre de parchemin, et Suzanne de GOURMONT de s'écrier à René ALLIE, mon camarade et à moi-même, en regardant le ouistiti : "Méfiez vous, Messieurs, car il mord tout ce qui dépasse !". Suzanne de GOURMONT nous confondait, d'ailleurs, ou faisait semblant, mon camarade et moi. René, fils d'un chilien et d'une Toulousaine, ne me ressemblait pas du tout. Il était le descendant des trois célèbres BROHANT "dont les noms, disait-il, sont tous dans le dictionnaire".

                    Les meubles de ce confortable logis étaient vieux, précieux et comptaient tous plusieurs siècles.

                    C'est dans cette ambiance spirituelle et surchauffée, que je passais merveilleusement ma soirée.

                    Mais les hasards de la destinée ne me conduisirent qu'une fois chez cette  dame du grand monde, si simple et si charmante.

                    J'imaginai les conversations étincelantes qui devaient se tenir là, entre Remy de GOURMONT, père de l'amour cérébral, avec son frère disparu également et avec le médecin et ami du grand homme, notre compatriote et parfait érudit Paul VOIVENEL et le Tout Paris à la mode.
 

Henri Roger de MAUTHALIN
 
 
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