Remy de Gourmont
Par le professeur Louis
Lareng
Président fondateur du Samu
de France
Remy de Gourmont, écrivain français, né en 1858, est mort en 1915. C’était un chroniqueur dramatique, sceptique et critique, collaborateur au « Mercure de France », faisant partie des symbolistes. L’écriture du « Joujou patriotique », admiré de Paul Léautaud et peu apprécié de la Bibliothèque centrale où il était employé, lui valut sa révocation.
Amoureux de la langue française, il la considérait comme une science. Il applique ce précepte à ses propres œuvres. C’est ainsi qu’il écrivait dans « Esthétique de la langue française » en 1899 : « Je pense qu’il ne faut jamais hésiter à faire entrer la science dans la littérature ni la littérature dans la science ; le temps des belles ignorances est passé ; on doit accueillir dans son cerveau tout ce qu’il peut accueillir de notions et de souvenirs, que le domaine intellectuel est un paysage illimité et non une suite de petits jardinets, clos des murs de la méfiance ou du dédain.»
Remy de Gourmont est normand, d’une province où l’on aime à la fois la force et l’ironie et dont la tradition nationale est si ancienne, que la langue en est plus classique que le français lui-même. Dès le XVème siècle, il y a dans sa famille des imprimeurs, des artistes, des prêtres ; Gilles de Gourmont imprime en France le premier livre en caractères grecs, on trouve de magnifiques éditions aux armes d’argent, aux croissants de sable, aux chefs de gueule chargés de trois roses d’or.
Du côté paternel, soldats et magistrats, du côté maternel, une ascendance assez variée mais mal connue.
Le père de Remy de Gourmont, né en 1829 voulait être soldat. Sa famille ne lui permit pas, afin de ne pas servir l’usurpateur Louis-Philippe. Homme très bon et très faible, très léger pour la conduite de sa fortune, il vécut à la campagne à Mesnil-Willeman dont il fut maire. Il vécut vieux et mourut en possession de toutes ses facultés intellectuelles.
Sa mère violente, dominatrice, caractère emporté, fort intelligente et d’une activité utile inlassable. Très religieuse, prosélyte, soignait tous les malades de la contrée. Remy se serait compris avec sa mère, hormis la question religieuse. Sa mère avait l’orgueil de ce fils aîné, mais de sa province le revoyait avec tristesse. Elle mourut jeune, diabétique à 58 ans, emportée par une congestion, Remy avait alors 21 ans.
S’il est né à Bazoches en Houlme, il est venu à Mesnil-Willeman à 8 ans dans une maison sans caractère, mais il grandit à proximité du jardin et du parc de Coutances. C’est là que son buste, stylisé par Suzanne de Gourmont sa belle-sœur, se reflète dans l’eau d’un bassin. C’est dans cette campagne qu’il allait, tous les jours au fond du jardin qui surplombait le parc, pour admirer le paysage. Dans beaucoup de ses livres nous retrouvons l’impression profonde, qu’ont eu, sur son âme, les paysages normands.
A Paris, il habitait au 71 de la rue des Saints Pères. On retrouve dans le comportement de Remy de Gourmont, tous ces éléments qui ont nourri son enfance. D’une grande énergie morale il méprise l’argent et les hochets des hommes ; son affection va aux souffrants et aux dédaignés. Il n’accepte aucun dogme ; il déclare que l’illusion est vérité et la vérité illusion. Remy de Gourmont était un homme robuste et relativement sportif. C’est avec l’âge qu’il prit de l’embonpoint. Son comportement était avant tout celui d’un cérébral ; il se complaisait dans les discussions psychologiques et les idées générales. Spirituel et naïf, il adore les livres. Selon une formule de Paul Voivenel il parle des mots « comme les femmes parlent des étoffes ». En ce qui concerne l’écriture, ou si l’on préfère les mots, il faut se souvenir d’une phrase des chevaux de Diomède : « Si la parole n’est pas tout, rien n’existe sans la parole. Elle est à la fois le levain, le sel et la forme, la création peut-être de tout.»
Il était dynamique dans l’action, autoritaire à l’occasion, très curieux des composantes psychologiques de l’amour, semblait détaché, par contre, de ses expériences pratiques. C’était un imaginatif.
Encore dans la force de l’âge, Remy de Gourmont est atteint au visage par un lupus qui déforma sa face. Avant la soixantaine il est aussi atteint d’une affection cardio-rénale dont il mourut à l’âge de 67 ans.
Remy de Gourmont offre l’un des exemples les plus complets et les plus constants, non pas de la dévotion littéraire, mais de l’existence littéraire.
Remy de Gourmont s’est-il investi dans ses héros romanesques ? oui et non, le flirt du premier journal intime, se terminera par une promesse : celle de demeurer une présence dans le cœur des livres à venir. Et dans ce même journal il s’écriait déjà : « Je lis Michelet et la question : Que puis-je pour créer une femme ? me vient chaque fois à l’esprit et me monte au cœur comme une fumée qui obscurcit mes espérances », ce qui d’évidence prélude au texte définitif de la période idéaliste de Gourmont : Le fantôme.
Dans Merlette en 1886, Hilaire de Montlouvel ressemble à Remy : « Il est grand, blond, avec le teint coloré et les yeux vifs de sa mère, mais moins brillant, un peu indécis. Hilaire cultive l’esthétisme, rêve le monde au lieu de le vivre. L’impression domine que Gourmont donne soudain un corps à cet autre Gourmont, le même cependant qui rédigerait le journal intime dans les années de formation.
Dans les années cruciales de 1886 et 1887, alors que Gourmont rencontre à la fois Berthe de Courrière et le symbolisme, il ne s’opère pas en lui un changement mais une révélation. Ce qui était un germe dans le jeune homme du journal intime, s’incarne subitement dans Hilaire de Montlouvel, prend sa forme dans « L’idéalisme » en 1893. La rêverie s’unit au réel, le contamine et l’entraîne avec elle. Ne dit-il pas de Berthe de Courrière qu’il idéalise dans Sixtine qu’elle est une Béatrice exempte de l’œuvre charnelle ? Son intérêt pour Dante et le symbolisme est antérieur cependant à Berthe de Courrière, puisqu’il écrivait en 1883 dans la revue de l’enseignement secondaire des jeunes filles, un article sur Béatrice, Dante et Platon.
Dans l’étrange journal épistolaire, « Les lettres à Sixtine » adressé à Berthe de Courrière du 14 janvier au 15 décembre de la même année, les allusions à Dante sont si fréquentes qu’on peut imaginer que Gourmont s’est donné la VITA NUOVA pour modèle. Les lettres à Sixtine paraissent six ans après la mort de Remy de Gourmont. Elles sont à la fois un journal et un roman. C’est une déclaration d’amour qui cherche à devenir une œuvre d’art.
Si l’adolescent du journal intime devient Hilaire de Montlouvel, ce dernier n’est pas l’auteur des lettres à Sixtine. Le journal intime était le portrait du jeune homme, les lettres à Sixtine sont le portrait de l’artiste en jeune homme. Elles montrent le passage de la vie à l’art et désignent l’irréductible opposition de l’art et de la vie.
L’auteur ne s’approche de ses propres états d’âme que par le truchement de souvenirs que lui a laissé la littérature. Dès lors « Sixtine » des lettres cesse d’être Berthe de Courrière et l’objet des « lettres » n’est pas seulement la vie sentimentale de l’auteur, mais aussi bien sa vie littéraire. N’est réel que ce qui renvoie à des valeurs littéraires données ou à la limite, la vie n’est la vie même qu’au moment où elle s’associe à l’art.
Gourmont rejoint aussi les préoccupations les plus vives de son époque. On songe au culte du moi du jeune Maurice Barres. C’est un temps où l’on ne sait pas bien quelle littérature faire. Cette fin de siècle, qu’on a pu dire être le règne de la bourgeoisie absolue, coïncide effectivement avec le règne du bourgeois qui atteint, à ce moment de la IIIème république a toute sa pureté. Mais le bourgeois a cessé d’être entreprenant. Villier le dénonce et les « Proses moroses » de Gourmont emboîtent le pas. Chose étrange, le peuple est perçu comme bourgeois. Bien entendu, le mot peuple ne recouvre pas un état sociologiquement défini – excepté pour les penseurs politiques – mais d’autres mots décriés : foule, plèbe, masse aveugle. C’est dans ce sens que Remy de Gourmont écrira dans « Le problème du style » : « L’art est par essence absolument inintelligible au peuple, qu’il s’agisse de Racine ou de Mallarmé, de Raphaël ou de Claude Monet, le peuple ne peut comprendre, artistiquement, ni un poème, ni un tableau, parce que le peuple n’est pas désintéressé et que l’art c’est le désintéressement. Pour le peuple, tout est dans le sujet du poème ou du tableau ; pour l’intellectuel tout est dans la manière dont le sujet est traité. Le peuple ne goutte pas l’exception et je le maintiens, l’art est une perpétuelle exception.
Sixtine est dédiée à Villiers de l’Isle d’Addam qu’il admire ; il donnera d’ailleurs à sa collection de textes, ce titre « Proses moroses » en hommage aux « histoires moroses » de Villiers. Il a rencontré Villiers en 1888 et cette rencontre l’a exalté. « Villiers pour de Gourmont a été l’exorciste du réel et le portier de l’idéal ». Il voyait en lui une illustration parfaite de son idéalisme. C’est la primauté absolue donnée à l’intellectuel sur tout le reste. L’idéalisme ne se réfère pas à une idée mystique ou a un épanchement de l’être dans un royaume idéal. Il s’agit plutôt de l’extrême avancée de l’intellectualisme. Il n’y a pas le monde et le moi, mais le moi uniquement. Et Gaultier dans son royaume posthume à Gourmont souligne l’admirable attitude spectaculaire que fut celle de Gourmont.
Lorsque Sixtine apparût en librairie en 1890, c’est l’époque où l’on se détourne du naturalisme et la période où Gourmont consacre son travail au latin mystique dont le sous-titre « Les portes de l’antiphonaire et le symbolique au Moyen-Age », montre que Gourmont privilégie à la fois le très ancien et le très nouveau. Il était sensible à toutes les expressions nouvelles et se tenait averti de ce qui surgissait dans le monde.
Si l’évolution de Remy de Gourmont peut se partager en deux parties (la première approximativement de 1886 à 1896) étant placée sous le signe du symbolisme, la seconde partie de 1900 se définissant par un caractère hautement analytique, il est certain qu’aucune rupture n’est perceptible. Bon nombre de propositions « dans Epilogue », « La culture des idées » et « Le chemin de velours » se trouvent dans les écrits précédents.
Remy de Gourmont ne se renie pas : « On subit le milieu où l’on a d’abord évolué et on en garde la marque. La marque symboliste est noble et je tiens, pour ma part, à le porter visible et même impertinent. Les idées de Remy de Gourmont se forment petit à petit. Il n’y a pas de vérité, songe de Gourmont, ou plutôt la vérité entre dans un cerveau, comme l’eau dans un vase elle en prend la forme. »
Dans les chevaux de Diomède, il écrit : « Il ne faut pas chercher la vérité mais devant un homme comprendre quelle est sa vérité. Vivre en dehors, vivre au dessus, juger mentalement, sourire, parler comme à un ami à plusieurs langages, ami à plusieurs âmes, communier à pleine table sous toutes les espèces humaines, se garder intangible mais ayant écouté sur tous les murmures, y répondre par toutes les paroles ».
En un seul endroit paraît une rupture : c’est sur le terrain du langage. Dans le journal intime, l’adolescent pensait que seule l’idée valait. La découverte du symbolisme et des poètes latins de la décadence bouleversent cette théorie. La découverte crée un sentiment si vif, que de Gourmont en exprime une véritable ivresse (c’est le titre ivresse verbale d’un article publié en février 1892 « Ce rien, le mot, est pourtant le substratum de toute la pensée ; il en est la nécessité ; il en est aussi la forme et la couleur et l’odeur ; il en est aussi le vestibule ; le mot est le dada qu’enfourche la pensée »).
Les lieux communs bien cadencés, ne peuvent suppléer à cette aventure du verbe qui fut le fait de véritables symbolistes. L’imitation qui se développe enrage de Gourmont. « La forme sans le fond, le style sans la pensée, quelle misère disait-il ! ».
Gourmont se persuade que ces choses n’existent que vues, qu’investies par le moi qui les anime. Il y revient dans les lettres à l’amazone adressées à Nathalie Barney et publiées en 1914. Il eut en 1913 une période d’abus sexuels, que Michel Cordey appelait les feux du couchant. Il pense que les exigences sont, cela va de soi, dans la période de l’idéalisme absolu. La vie cérébrale est non seulement la vraie vie, mais elle devient la condition même du réel. C’est un point de vue intellectuel et de ce seul point de vue que les choses doivent être vues. De la même façon rien n’est plus opposé à l’intellectuel que le croyant. La foi implique une vérité. L’intelligence nécessite le doute et la distance. Il faut se souvenir de ce bref passage du fantôme, pour s’expliquer l’idéalisme gourmontien.
« Nous savons que la sensation ne donne rien ; amusons-nous cependant à ce rien qui est tout dans le moment où il surgit dans nos imaginations et restons franchement contradictoires afin de pouvoir sourire de nous-même aux occasions tragiques ». La vie cérébrale rejette l’éthique car la position de l’idéalisme est perçue comme une libération. L’étique ôtée, que peut-il se passer sinon l’esthétique ? Nous passons ainsi sensiblement à Nietzsche proclamant : « L’existence du monde ne peut se justifier que comme un phénomène esthétique ».
Et ainsi de Gourmont évolue, non pas dans le sens d’une aigreur, mais de refus impératifs. Lorsque l’idée engendre l’action, elle dépérit. Dans Sixtine, Entragues montre son but « Mon œuvre véritable sera celle-ci : un être né avec la complète paralysie de tous les sens, en lequel ne fonctionne que le cerveau et l’appareil nutritif ».
De Gourmont affiche une philosophie reposant sur le rejet des catégories éthiques, revendique l’agnosticisme contre toute croyance (religieuse ou laïque) et le nihilisme contre toute idée de progrès ou de perfectibilité : qu’elle se proclame athée.
C’est ainsi que l’Amazone étonne et ravit comme ces fleurs et ces jeunes feuilles aux têtes exquises qui éclosent en novembre sur les vieux troncs des marronniers. Toute la vie est derrière Remy de Gourmont et il ne s’en plaint pas. Après la fierté, il y a eu l’obéissance et l’acceptation. Il en respire les parfums, il en comprend la signification. L’Amazone est l’occasion. Hommage lui soit rendu. L’allumette qui allume l’incendie ne donne aux flammes aucune des couleurs qui tiennent uniquement à la composition des corps qui flambent.
Une phrase des chevaux de Diomède résume presque tout cela : « Je veux jouer avec la vie, je veux passer en rêvant, je ne veux pas croire, je ne veux pas aimer, je ne veux pas souffrir, je ne veux pas être heureux, je ne veux pas être dupe, je regarde, j’observe, je juge, je souris.
Cette philosophie implique que la pensée et l’existence sont complémentaires, comme sont complémentaires, dans Sixtine, la vie sentimentale et la vie cérébrale.
Il est remarquable que la période idéaliste de Gourmont soit en grande partie celle que dégage avec le plus d’intensité sa propre érotique. C’est ainsi qu’il s’accorde avec Joris-Karl Huysmans sur l’idée du nu. Il n’existe pas de femmes nues : il n’existe que des femmes déshabillées. A propos du Gynécée, il décrit à Rouveyre en 1908 : Notre nu ne peut jamais être qu’un dévêtu.
Gourmont diffère de Villiers de l’Isle d’Adam sur le plan de l’idéalisme pur. Il pense que si l’homme s’extériorise, il crée et suscite des images incomparables exigées par les impératifs du jeu qui parle. L’objet est alors déformé. D’où la différence entre Entragues de Gourmont et Axel de de Villiers. Cela provient de l’érotisme gourmontien qui restitue la chair où de Villiers l’ôtait. Il tient à ce que le symbolisme mis en pratique, soit conforme au symbolisme tel qu’en son temps, à travers les écrits de Mallarmé par exemple, il s’affirme. Autrement dit, cette tentative ne peut être qu’individuelle, la déformation est nécessaire au symbolisme.
Le rapport érotique chez Gourmont est trouble. Si on le voit, rayonnant de joie, souper avec deux femmes, aller aux bois, il n’empêche que lorsqu’il parle de Nathalie Barney, il revient aux thèmes essentiels de sa période idéaliste. Le mélange de sensualité et de vie cérébrale nous renvoie à Sixtine. De Gourmont était un imaginatif, un cérébral. Les hommes de son canon ne sont pas des coucheurs. Les cérébraux comme Remy de Gourmont ont souvent comme maîtresses : des paysannes, des vachères. Mariés, ils trompent fréquemment leurs femmes en imagination. L’un d’eux, rapporte Voivenel, disait : « Je trompe ma femme peut-être vingt fois par jour ; une jolie fille les hanches onduleuses, une poitrine saillante, des yeux profonds… Mais si l’objet de ce désir me paraissait disposé à me laisser le réaliser, je prendrais, comme jadis mon frère Hercule, le chemin opposé ».
Hubert d’Antrague dans « Sixtine » se sert de ses désirs comme d’excitants intellectuels et près de la femme qu’il aime ne réalise pas son désir.
Enfin dans les « Lettres à l’Amazone » il se plaît à un jeu émouvant, certes, mais dont l’impossible conclusion le tranquillise et qui fait ruisseler, à l’époque crépusculaire de la cinquantaine, toute la compréhensive sensualité que la vie a accumulé en lui.
On lui faisait quelquefois le reproche de manquer de cran : la femme attaquée par un homme qui lui plaît, devant nécessairement succomber, mais, comme il n’attaquait pas, c’est qu’il n’avait aucune des qualités ou défauts qui caractérisent les troupes d’assaut. Ne luttant pas contre son tempérament, il ne détestait pas la femme comme un prêtre la craint. Les femmes avaient pour lui une grande affection, son iconographie, en effet, était essentiellement féminine. C’est d’ailleurs l’une d’elles qui, sans l’avoir jamais vu, chose admirable, se dit si justement si pénétrée de son âme, qu’elle a pu sculpter dans la pierre ce buste émouvant et profond qui se reflète dans le miroir du bassin du jardin de Coutances.
Si la pensée et l’existence s’épousent, comment pourraient se distinguer le corps et l’âme ? Lorsque Gourmont reprend cette formule, il rédigera dans « Une nuit au Luxembourg » : « La vérité est une illusion et l’illusion est une vérité ». Du coup si l’idéalisme poussé à refuser toute règle, l’idée de beauté n’est pas une idée pure : elle est liée à l’idée de plaisir charnel.
L’aspect sacrilège de l’érotisme gourmontien est souligné dans beaucoup de poèmes, litanies, litanies de la rose, oraisons mauvaises, latin mystique, le pèlerin du silence ; il s’inscrit dans la dissociation des idées. C’est ainsi qu’il proposa de dissocier « Rome » et « décadence » pour en finir à dissocier « symbolisme » et « décadence ».
Remy de Gourmont pense que les hommes les plus intelligents sont les plus naïfs et leur raffinement intellectuel aboutit à un certain sentimentalisme primitif. Lui qui s’était trouvé petit enfant devant Anatole France, lui que les clients d’un Duval regardaient avec gêne, amoureux d’une idée, s’est un peu trouvé par la puissance de son imagination, amoureux d’une femme. Quel plaisir pour un vieux philosophe de jouer à l’enfant !
Sur le plan humain, Remy de Gourmont est loin d’être révolutionnaire. Il est persuadé des méfaits de la foi et des tyrannies de la vérité. On prône dit-il l’égalitarisme « Si la parfaite égalité s’établissait à jamais, ce serait un fardeau si lourd pour la nature humaine qu’elle le rejetterait ou serait écrasée ». Dans « Dialogues des amateurs sur les choses du temps », il pense qu’il faut lutter contre l’époque du convenable qui exprime l’absolu du règne bourgeois. Il pense qu’un imbécile reste un imbécile ; après vingt et trente ans d’études acharnées, seulement sa bêtise est armée ». Il y a des illettrés fort intelligents qui ne peuvent lutter sur le terrain civilisé avec l’imbécile instruit. Ils ne disposent que d’un bâton et l’imbécile est armé d’une carabine à répétition ». Et voilà pourquoi, Monsieur, vous êtes député. Pour arriver au premier plan dans vos civilisations compliquées, il faut beaucoup de chance ou une profonde canaillerie. La canaillerie figure en bonne place dans le blason du convenable. Gourmont s’en amuse.
Le convenable a une doctrine d’imitation contre laquelle s’insurge Remy de Gourmont ; il est répétitif, prendre les mots aux mots, voilà ce qu’exige le « convenable ». Or « les mots » ne détiennent aucun sens et des écrivains mémorables en usent toute leur vie sans les comprendre. La signification d’un mot et l’intelligence d’une femme n’ajoutent rien, ni n’enlèvent rien à la pureté de leur forme.
Ah si l’Amazone n’avait pas été une Amazone, le jeu se serait vite terminé et l’homme ne serait plus allé aux bois et il n’aurait pas parlé de Titania. Diable, il eut risqué d’être pris aux mots et l’oiseau de réintégrer le nid obscur et poussiéreux qui illuminait son imagination et où du moins il était à l’abri des gymnastiques exténuantes, heureux Gourmont, heureuse Amazone, qui fut le chat, qui fut la souris, on le devine. Il faut remercier une femme intelligente et belle d’avoir allumé un feu d’artifice devant lequel Gourmont s’est réjoui, comme s’il n’en eut pas été l’artificier et qu’il n’attendait pas la première étincelle. Il a reçu cette étincelle et en retour il a donné l’immortalité.
Au cours de sa maladie, les derniers temps, il écrivait au Docteur Voivenel, alors que ce dernier était mobilisé sur le front. En 1915 il ne sortait que rarement. Il marchait difficilement. Le Docteur Voivenel avait confié de Gourmont au Professeur Letulle. La merveilleuse intelligence se reflétait dans sa maladie. Il tomba sur sa table alors qu’il écrivait les premiers feuillets d’une physique des mœurs, à laquelle il pensait depuis longtemps.
Alors Gourmontiens, le reconnaissez-vous votre Remy de Gourmont ? On retrouve dans son journal d’adolescent son impuissance et sa timidité vis-à-vis des femmes qu’il aime, aussi appelé son manque de cran ; il n’osait pas et quand la jeune fille ne comprend pas et dédaigne son amour, il s’avoue. Il faut oser quand on aime.
Si du jour où mon amour est né il y a 4 ans passés, j’avais dit Je vous aime, nous n’en serions pas à cet étrange malentendu. Rachel fut ainsi 14 ans sans possession.
Toujours son imagination paralyse les gestes de l’amour. Il aurait ainsi créé des personnages et aurait décidé de les faire mouvoir selon sa volonté. Il voulait des héroïnes à lui.
La perversité de de Gourmont fut complémentaire de sa tendresse.
Un jour Remy de Gourmont traça ces mots : « Aucune œuvre n’est définitive, chaque siècle est obligé de les refaire pour les pouvoir lire ». C’est dans les bibliothèques que se trouvent ses ouvrages. Il n’est pas inutile de les remettre en lumière. Lorsque commença la guerre de 1914-1918, il écrivait à Jules Gaultier : « Je suis un peu accablé. Je parlais volontiers de la civilisation dans mes écrits, où est-elle ?
Remy de Gourmont était civilisé par excellence, il se peut que la civilisation soit justement dans les livres qu’il a signés et dans les propos qu’il a tenus.