Berthe de COURRIERE devait créer Natalie BARNEY et provoquer sa métamorphose en amazone ; la maladie de GOURMONT  le permettait. Madame de COURRIERE ne s'effaça pas, au contraire, son influence ne fit qu'augmenter. GOURMONT la porta au paroxysme dans "Sixtine", le roman qui, selon l'expression du  frère de Remy, Jean de GOURMONT, est la transposition cérébrale de cet amour. Il n'est pas exagéré de dire et d'écrire : Sans Sixtine, Natalie n'aurait pas existé.

                    Encore dans la force de l'âge, Remy est atteint au visage par un lupus, je parlerai de cette maladie. Celle-ci était parfois confondue avec la lèpre. L'expression du visage est comme gommée. Avant la soixantaine, il est aussi atteint d'une affection cardio-reinale, elle lui sera fatale.

                    Mobilisé en 1914, le Docteur VOIVENEL ne peut visiter régulièrement son illustre malade. Il le confie au Professeur LETULLE et son Assistant le Docteur BERGERON. Après bien des réticences, GOURMONT finit par accepter, et ne le regrette pas. Dans une lettre adressée à VOIVENEL, promu Médecin Major, il lui fait part de sa satisfaction. Son moral est excellent. A chacune de ses permissions, VOIVENEL se rend rue des St-Pères.

                    Du fait de la guerre, il s'établit entre les deux hommes des rapports nouveaux. Le Major fait entrer son antenne médicale en "Religion Gourmontienne". Pour oublier les bombardements, on parle d' "Une nuit au Luxembourg", de "Cœur virginal", d' "Oraisons mauvaises" ...

                    Au début de sa maladie, l'inquiétude s'était installée chez les GOURMONT, la maladie va-t-elle détruire l'homme et une si belle œuvre ? Les clients du Duval souhaitent prendre leur repas loin de la table du Maître. Petit à petit, le malade abandonne sa vie publique.

                    Remy de GOURMONT est davantage par nature cérébral que médullaire. Au lieu de disparaître à jamais, il fait au contraire grandir son œuvre, il en écrit la plus belle partie. Berthe de COURRIERE, l'épouse du sculpteur CLESINGER devient "Sixtine", ce prénom appartient à la famille GOURMONT. "Sixtine au cœur et au visage olympiens" écrira Jean de GOURMONT. "Même aux heures où il se cherchait encore, elle ne douta jamais de son génie". C'est avec son roman "Sixtine" que Remy devait atteindre le point culminant et basculer dans la cérébralisation littéraire.

                    Son personnage Hubert d'ANTRAGUES se sert de ses désirs comme d'excitants intellectuels et, près de la femme qu'il aime, s'inquiète plus de savoir si le mot vloument traduit bien un filement d'ailes, que de réaliser son désir. La voie royale vers Natalie BARNEY est ouverte, désormais il va s'épanouir dans l'amour. Pour GOURMONT, l'Américaine Natalie CLIFFORD BARNEY se métamorphose en amazone. Ce sont les fameuses lettres publiées par le Mercure de France, une longue correspondance, où les mots d'amour les plus classiques ont une intensité inégalée. Remy, écrira VOIVENEL, se plaît à un jeu émouvant certes, mais dont l'impossible conclusion le tranquillise et qui fait ruisseler à l'époque crépusculaire de la cinquantaine toute la compréhensive sensualité que la vie a accumulée en lui. Respirer l'âme, c'est respirer le corps sous sa forme la plus pure et la plus assimilable. Remercions une femme intelligente et belle d'avoir allumé un feu d'artifice devant lequel GOURMONT s'est réjoui et qui n'attendait que la première étincelle. En retour, il a donné l'immortalité.